Le futsal, l'avenir du football français et mondiale




Le Brésil a battu l'Espagne en finale de la Coupe du monde de football, dimanche 18 novembre, sur le score de 3-2 après prolongations. Si l'information est passée relativement, voire complètement, inaperçue, c'est simplement parce qu'il s'agit de football, certes, mais en salle. Une déclinaison du sport le plus populaire au monde, mais dont le développement reste sans commune mesure avec celui de son cousin en plein air, pour des raisons liées à la gouvernance parfois étrange du petit monde du ballon rond.

Depuis le 1er novembre, la Thaïlande, pays de la boxe thaïe, de la plongée et du trekking, était également l'hôte du Mondial 2012 de football en salle, ou futsal FIFA. L'acronyme de la Fédération internationale de football n'est pas là par hasard. Elle est le fruit d'une lutte sans merci entre l'instance mondiale basée en Suisse et l'Association mondiale de futsal (AMF), à Asunción en Uruguay. Les deux se disputent le contrôle de ce sport de salle né dans dans les jeunesses chrétiennes (YMCA) en Amérique du Sud au début des années 1930.
"Les règles sont inspirées du handball, du basketball, du water-polo et pas seulement du football", précise Jérôme Brachet, président de l'Union nationale des clubs de futsal (UNCFs) et membre de la Confédération de l'Union européenne de futsal (UEFS), affiliée à l'AMF. "Le futsal n'est pas un dérivé du football, mais bien une discipline à part." Des années 1950 à 1970, la discipline se propage rapidement sur tout le continent sud-américain, et surtout au Brésil (désormais quintuple champion du monde), où sont élaborées de nouvelles règles en 1956, qui seront ensuite adoptées par l'ancêtre de l'AMF, la Fédération internationale de futsal (Fifusa). Celle-ci est fondée en 1971 par sept pays, dont six pays sud-américains – l'Uruguay, le Brésil, l'Argentine, le Paraguay, la Bolivie, le Pérou – et le Portugal, sous le parrainage de la puissante Confédération brésilienne des sports (CBS) et son président, João Havelange.
A cette époque, le futur homme fort de la FIFA (1974-1998) est connu pour avoir été l'artisan de la reconnaissance du futsal au sein de la CBS, mais il ne cache plus son envie de briguer la place du vieillissant Britannique Stanley Rous à la tête de la maison mère. Sa présence aux côté des Auriverde, champions du monde en 1970, dans les rues de Rio ne dupe personne. Dès son accession au sommet de la FIFA, Havelange mettra tout en œuvre pour mettre le futsal à la botte de Zurich.
"Depuis son création, la FIFA vise à contrôler toutes formes de football qui menacerait son monopole. C'est le cas du beach soccer, du football féminin et du futsal", explique Paul Dietschy, maître de conférence à l'université de Franche-Comté et auteur d'Histoire du football (édition Perrin, 2010). "Sous son règne, la FIFA est gouvernée sur un modèle présidentiel centralisé, où tous les pouvoirs sont concentrés par Havelange. Au début des années 1980, celui-ci demande en assemblée générale de prendre le contrôle du futsal en Amérique latine, où il est le plus développé avec des millions de pratiquants."
Cette volonté de phagocyter le futsal débute en 1983, lorsque la FIFA menace la Fifusa d'utiliser les voies légales pour lui faire interdire l'utilisation du terme "Futebol" dans son appellation d'origine : "Futebol de Salão". Raison de l'invention du terme "futsal". En 1985, à deux semaines de l'organisation du deuxième Mondial de futsal en Espagne, Madrid retire les subventions promises et met en danger l'existence même de la Fifusa. Une entente entre Havelange et Juan Antonio Saramanche expliquerait ce revirement. Le président du Comité olympique international (CIO) aurait craint un revirement de ce membre éminent du CIO sur le soutien de la candidature de Barcelone dans la course aux JO de 1992.
Entre 1988 et 1989, la FIFA tente de créer son propre football en salle, qui ne prend pas autant que prévu. Une Commission chargée d'étudier le problème propose la dissolution de la Fifusa et le transfert de la gouvernance du futsal sous l'autorité de la FIFA. Sous ces recommandations, les fédérations de futsal du Brésil, des Etats-Unis et du Canada s'installent à Zurich. Les autres nations membres refusent et fonderont par la suite l'AMF.
"C'est dans une volonté de faire évoluer ce sport que ces pays ont décidé de rejoindre la FIFA." Jaime Yarza, en charge du développement du futsal au sein de la FIFA et de la supervision du Mondial thaïlandais, ne cache pas son incompréhension vis-à-vis des autres nations qui ont préféré rester "entre-elles plutôt que développer davantage le futsal." "Depuis une dizaine d'année, nous avons à cœur de faire évoluer ce sport en instaurant de nouvelles règles, alors que l'AMF veut le garder confidentiel", lance-t-il.
"UNE DÉCISION VICHYSTE"
En 2000, la FIFA change quelques points du règlement du futsal original pour avoir la main mise sur cette version du jeu. Ainsi, les touches et les corners s'effectuent au pied selon les règles FIFA, et à la main avec les règles AMF ; le tacle glissé et la charge pour essayer de déséquilibrer son adversaire sont strictement interdits en AMF ; pour remettre le ballon en jeu, en version FIFA, les joueurs ont 4 secondes, 5 secondes en AMF. Enfin, une règle de 15 secondes pour remettre le ballon dans la partie adverse est imposée en AMF. "Cette règle change absolument toute la physionomie du jeu", insiste Jérôme Brachet. "Elle permet d'avoir une rencontre beaucoup plus animée et dynamique. Mais au-delà de ces quelques règles, il y a une différence de philosophie. La volonté du prête argentin Juan Carlos Ceriani Gravier, qui a rédigé les premières règles en 1933, cherchait à créer un état d'esprit à l'opposé de celui du football à onze : plus respectueux et moins violent. Aujourd'hui, essayez de mettre des footballeurs à onze dans une salle : on a des crachats, des insultes... C'est ingérable."
Depuis 2003, Jaime Yarza reconnaît que les relations entre les deux fédérations internationales sont rompues. En France, ce n'est guère mieux. L'UNCFs et la Fédération française de football (FFF) sont assis dos-à-dos depuis que cette dernière a obtenu du ministère des sports, en juin 1997, la délégation de l'organisation d'un championnat de futsal en France. "Une décision vichyste", selon l'historien Paul Dietschy, une "spoliation et une décision éminemment politique pour satisfaire la FFF", selon Jérôme Brachet.
Marie-George Buffet, ministre des sports au moment des faits, réfute toute accusation de connivence avec la FFF. "A cette époque, c'était mon prédécesseur [Guy Drut] qui avait monté le dossier. Nous avons signé, certes, mais, ce n'était pas de ma décision. Par la suite, en revanche, j'ai toujours œuvré pour éviter une accumulation de petites fédérations de sport innovant, en essayant au maximum de les mettre sous le giron de plus grandes déjà existantes", reconnaît Mme Buffet.

Nuance : le Colombien William Estupina est champion du monde de futsal AMF, et non FIFA.
Nuance : le Colombien William Estupina est champion du monde de futsal AMF, et non FIFA. | REUTERS/© John Vizcaino / Reuters
SUPENDU 91 ANS POUR AVOIR DEUX LICENCES
"Nous ne sommes pas en guerre avec l'UNCFs", insiste Michel Muffat-Joly, président de la commission fédérale du futsal de la FFF. "Nous nous sommes rencontrés auparavant avec eux et Henri Emile, qui était en charge du développement du futsal en France. On en est resté là, et depuis, chacun suit son chemin. C'est tout." Jérôme Brachet, lui, n'est pas convaincu de leur bonne foi et déplore des pressions de la FFF sur les joueurs pratiquants de futsal. En 2010, Ali Bedredine a été suspendu de licence futsal FFF pendant 91 ans... parce qu'il détenait également une deuxième licence, dans un autre club du département affilié à l'UNCFs, "association non reconnue" par la FFF. "C'était une exception", tempère Michel Muffat-Joly. Pour Brachet, cet acte est clairement une "menace" envers les joueurs qui choisirait des clubs de sa fédération.
Pour l'heure, les deux sports continuent d'évoluer côte-à-côte, mais avec un avantage certain pour le futsal affilié FFF, qui a vu son nombre de licences s'envoler grâce à un championnat en cours de structuration. De son côté, l'UNCFs subit le contre-coup : un nombre de pratiquants en stagnation et des subventions au niveau local qui disparaissent. "Auparavant, la FIFA craignait de voir le futsal concurrencer son produit phare, la Coupe du monde à onze. Aujourd'hui, l'enjeu du produit futsal est sa popularité croissante dans un monde de plus en plus urbanisé, où l'espace est plus réduit", explique Paul Dietschy. "Et dans nos sociétés de plus en plus individualistes, il est plus simple de trouver cinq coéquipiers que onze."


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